Sur le poème et les poètes de forums

Publié le par La Source

 

 

POINT DE VUE SUR LE POÈME

 

 

Récemment, sur un forum, il m'est revenu une réflexion qui m'a sidéré : « Il est très impoli de faire remarquer à quelqu'un qu'il a fait des fautes dans son poème.... En poésie, ce n'est pas l'orthographe ni la correction du langage qui compte, c'est l'émotion... » J'avoue que ce point de vue m'a plongé dans toute une méditation sur l'abîme qui sépare les poètes véritables, ceux qui ont un état d'esprit poétique, et ceux qui sont des émotifs superficiels qui s'amusent à versifier plus ou moins bien, et qui sont en général d'autant plus orgueilleux et ombrageux qu'ils sont plus déficients sur le plan de la langue.

En somme, dans un exercice qui consiste à transmettre une émotion, certes, mais en portant le langage à son plus beau, en visant à l'oeuvre d'art, certains s'autorisent à employer un charabia terrible, prétendent « versifier » en faisant n'importe quoi, et en tirent gloire, tandis que même le plus grand poète du monde, scrupuleux et humble, remerciera celui qui lui fait remarquer qu'il a mis ne fût-ce qu'un accent de travers, ou bien négligé un -e muet...

Cela me laisse, en vérité, pantois de penser que des "auteurs" qui veulent écrire des poèmes se fichent comme d'une guigne du matériau qu'ils sont amenés à utiliser : leur langue.. Qu'ils ne la respectent nullement alors qu'ils devraient être les premiers entre tous, et peut être aussi les derniers, à la vénérer avec un amour jaloux. Les soi-disant poètes des forums, s'ils trouvent normal de se raconter n'importe comment, que ne le font-ils dans une prose quelconque, parlée, fautive, puisque la pureté ne leur importe pas : pourquoi prétendre alors à faire du poème ? C'est comme quelqu'un qui ne saurait même pas conduire un vélo, et qui prétendrait se lancer directement dans la Formule 1. Ou ces peintres du dimanche qui refusent de prendre la peine d'étudier un peu le mélange des couleurs et fabriquent d'affreuses croûtes plombées faute de technique correcte.

Évidemment, la Formule 1, cela fait envie. Mais si l'on désire s'y attaquer directement, mieux vaut au moins accepter d'être «coatché» (comme on dit) par un instructeur, et y aller prudemment, en tirant le maximum de ses observations afin de corriger nos erreurs de conduite. Je trouve tout de même stupéfiant que quelqu'un, se considérât-il comme un modeste amateur, puisse considérer que la langue dans laquelle il forge son poème est chose négligeable et ne mérite pas qu'on s'en soucie !

De même s'il prétend versifier : la versification était une manière de donner forme et rythme au langage « en poème ». Or aujourd'hui, la versification n'a plus rien d'obligatoire. Si l'on trouve naturel d'en mépriser les règles, autant rythmer et écrire des vers libres, «à l'instinct», on a davantage de chances de réussir un poème intéressant ! Et si l'on désire en respecter les règles, alors lorsqu'on le fait et qu'on commet une erreur par inadvertance, que sert de dévorer de rage celui qui vous fait remarquer cette erreur, alors que, si l'on a l'état d'esprit d'un vrai poète que j'évoquais plus haut, on devrait plutôt le remercier ?

Pour finir, il est clair aussi qu'on a le droit d'assumer ses choix, ce qui est différent d'assumer ses ignorances. Ainsi, un poète ami récemment disparu considérait que dans la versification de la langue contemporaine, il n'était plus indispensable de tenir compte des fameux -e muets posant tant de problèmes aux versificateurs peu chevronnés. Mais ce point de vue n'était pas dû à ce qu'il ignorait comment gérer la question des -e muets en français versifié, qu'il savait fort bien pratiquer selon la règle, mais au fait qu'il considérait que du point de vue énonciation orale, le -e muet n'a plus guère de rôle dans le français moderne, et que l'on ne dit plus comme au temps de Louis XIII « la rosé-eu » ou « une fleur épanoui-eu » mais « la rosé'... » ou « épanouy'... en insistant à peine sur le é ou le i. Rien à voir entre ce point de vue, qui phonétiquement se défend, avec le mépris absolu des -e muets, par exemple à l'intérieur des mots, et qui amène nos versificateurs inattentifs et peu scrupuleux à compter une syllabe dans « tenir » prononcé « t'nir » , ou deux pieds dans « pureté » prononcé « pur'té », ou quatre dans « phonétik'ment » !

Un poète se doit donc à la fois d'être fort orgueilleux sur sa vision, son « monde poétique », et d'une humilité absolue quant à la connaissance du fonctionnement du langage, de ses ressources expressives, et particulièrement s'il s'agit de sa langue maternelle. C'est toute la différence entre un poète adulte qui se respecte, et un enfant qui fait des bouts-rimés à l'école maternelle. Je suis triste que cette différence aujourd'hui n'apparaisse plus comme une évidence à certaines personnes qui prétendent « poétiser » et ne font que « charabiatiser ».

 


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