SALAMANDRA

Publié le par La Source

 

Salamandra

 

Sur son lit nue, couchée en S, elle avait décidé ce dimanche d'être un caractère d'imprimerie. Sa peau était douce et lisse comme d'un python, brillante comme du plomb fraîchement démoulé. Elle se sentait chef-de-file de tous les mots de la rubrique S des lexiques : saison, sanatorium, serpent, siffleur, Soissons, surprenant, sybarite, etc. mais ce genre de considérations lui importait peu.

 

Lui, elle le confondait avec un charmeur de serpents, ignorant que l'instrument qui fait danser les najas roses n'est pas une flûte mais une variété de hautbois : pour elle, toute anche s'écrivait avec deux h, l'un pour la caresse, l'autre pour le soupir. Les détails étaient son seul plaisir, en cela l'on reconnaissait bien les soucis propres à la féminité...

 

Si l'on songeait à l'invisible qui s'était mêlé à ses cheveux ainsi que mille fouets ou tentacules de gorgone, dont elle enveloppait, bruissante, ses victimes en leur prodiguant d'insoutenables délices, ceux qui la connaissaient bien auraient pu dire qu'elle ressemblait à la Shambleau de Catherine Moore. Le même regard vert, pétrifiant ce qu'elle aimait...

 

Quand à ses murmures pendant les nuits amoureuses, ils convoquaient toutes les images de mondes inconnus, tours escaladées de lianes émergeant des eaux, dais de forêts tendus sur des couches à baldaquins aux matelas de mousse, vaisseaux à têtes de dinosaures battant pavillons multicolores et plein de farouches guerriers casqués de cornes, mille visions animées par le son des cornemuses montant à l'assaut de châteaux où trônaient des beautés voilées de tulles, aux seins ravissants et à la langue bifide.

 

Comme les étrangers auraient voulu participer à ces jeux ! Comme le feu de cette salamandre moderne les tourmentait d'insomnies fiévreuses, serpents sifflant sur leurs têtes ainsi que dans la tragédie ! Hélas, c'est à jamais étrangers qu'ils resteraient, loin des territoires où se tordait la flamme interdite, frissonnant dans un langage auquel n'ont accès que les poètes et les dieux.

 

 

 

Publié dans poésie

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